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Elle se sentait si petite au milieu de l’immensité bleue, comme si une part d’elle n’avait jamais grandi. Seules les bougies à souffler sur le gâteau de chez Éléonore ou le regard des autres dans la rue, lui rappelaient que les années passaient. Depuis ses quinze ans, on lui demandait de choisir un cap. Certains savaient dans quelle direction aller, d’autres suivaient les indications ou les exigences d’un parent, c’était plus simple. Elle, ne savait pas. Elle préférait se laisser porter par la brise légère. Elle trouvait ça plus agréable, sentir le vent presque immobile dans la voile. Et puis, ça lui semblait naturel d’aller dans le sens du vent, sans questions à se poser.
Par moment, le vent devenait plus puissant, la mer s’agitait, les vagues se creusaient et la frêle embarcation plongeait dans des creux de quinze mètres, les abîmes de la vie. La peur la saisissait alors, elle se terrait au fond de la cabine en espérant l’éclaircie dans le ciel noir. Souvent, la brise légère revenait. Ça lui évitait de penser à un changement de cap jusqu’au jour sombre d’un hiver où la coque s’est fracassée sur un invisible rocher.
Après quelques mois d’errance ou peut-être était-ce quelques années, elle s’est relevée un peu
abîmée mais plus forte. Avant de repartir en mer, elle s’est posée mille questions sur ses propres envies, à quoi elle aspirait dans la vie, d’où lui venait son énergie.
Elle construisait dans sa tête un monde idéal dans lequel elle aimerait grandir et même vieillir. C’était comme un tableau coloré qu’elle se dessinait pour savoir où aller. C’était une petite étoile qui brillait dans la nuit pour l’aider à garder son cap.
Elle est repartie en mer, confiante en elle, en ses possibilités. Elle se savait sur le bon chemin. Elle avait trouvé le bonheur d’être soi, d’agir en accord avec ses convictions profondes. Ses mouvements étaient plus souples, ses gestes s’accordaient à ce qu’elle pensait.
En quittant le port, elle se rappela une phrase de Camus : « Ce n’est pas si facile de devenir qui on est, de trouver sa mesure profonde.» Certes ce n’est pas facile mais c’est possible. Elle pensa à tous les jeunes, lycéens ou étudiants, aux mères de famille, à tous les laissés-pour-compte, aux cinquantenaires, aux retraités, à tous ceux qui restaient sur le quai, ballotés par la vie. Elle leur cria de continuer à rêver, de se reconnecter à leur part d’enfance. Une seule personne entendit son message et repartit du quai en souriant, à la recherche de son rêve d’enfant.
Christine B. Juin 2022